Le Spectre de mon Père dans le Parc
en promenant mon chien de laine
matin d’automne Parc Lafontaine
je vois surgir de la grisaille
l’ombre d’un spectre familier
je lui murmure « hey ! je te r’connais, toi… »
et je recule soixante-sept ans
l’année d’avant que tu sois mon père
avant la bombe
avant ma mère
je t’imagine début vingtaine
paletot de laine collet relevé
chevelure hautaine et sur la peau de ton visage
quelques vestiges d’adolescence
tu déambules en chantonnant
nonchalamment
« cerisier rose et pommier blanc » *
tu sens l’alcool le tabac froid
parfum d’actrice au bout des doigts
tu entends le chant des sirènes
l’appel de la beauté
l’invitation irrésistible
de la liberté
mais le chant des sirènes
n’est qu’un enchantement
ta vie t’attend dans le tournant
tu aimes les nuits de Montréal
refus global et nouveau monde
dans la fumée des cabarets
les lunes rousses
les lunes blondes
t’as l’teint pâlot d’après nuit blanche
et l’élégance déboutonnée
d’un grand acteur venu de France
qui rentre à pied dans la brumasse
àchez ses parents Faubourg à M’lasse
y a pas longtemps t’as vu Paris
suivi des cours et crevé d’faim
revenu maigre et sans le sou
pour le théâtre prêt à tout
et tu vivotes en attendant
un premier rôle un vrai départ
le rideau rouge s’ouvre tout grand
la tv s’en vient dans deux ans
t’habites encore chez tes parents
tu entends le chant des sirènes
l’appel de la beauté
l’invitation irrésistible
de la liberté
mais le chant des sirènes
n’est qu’un enchantement
ta vie t’attend dans le tournant
et moi j’attends dans la coulisse
j’apprends par cœur le rôle du fils
* Cerisier rose et pommier blanc chanson de Louiguy et Jacques Larue