Le gorille
C'est à travers de larges grilles
Que les femelles du canton
Contemplaient un puissant gorille
Sans souci du qu'en-dira-t-on
Avec impudeur, ces commères
Lorgnaient même un endroit précis
Que, rigoureusement ma mère
M'a défendu de nommer ici
Gare au gorille, gare
Voilà que la prison bien close
S'ouvre sur le bel animal
On n'sait pourquoi, je suppose
Qu'on avait du la fermer mal
Le singe, en sortant de la cage
Crie "c'est aujourd'hui que j'le perds!"
Il parlait de son pucelage
Et vous aviez deviné, j'espère
Gare au gorille, gare
Tout le monde se précipite
Hors d'atteinte du singe en rut
Sauf une vielle décrépite
Et un jeune juge en bois brut
Voyant que chacun se dérobe
Le quadrumane accéléra
Son dandinement vers les robes
De la vieille et du magistrat
Gare au gorille, gare
Gare au gorille, gare
"Bah, soupirait la centenaire
Qu'on puisse encore me désirer
Ce serait extraordinaire
Et, pour tout dire, inespéré"
Le juge pensait, impassible
"Qu'on me prenne pour une guenon
C'est complètement impossible"
La suite lui prouva que non
Mais gare au gorille, gare
Car si l'on sait que le gorille
Aux jeux de l'amour vaut son prix
On sait qu'en revanche il ne brille
Ni par le goût, ni par l'esprit
Or, au lieu d'opter pour la vieille
Comme l'aurait fait n'importe qui
Il saisit le juge à l'oreille
Et l'entraîna dans un maquis
Gare au gorille, gare
La suite serait délectable et
Malheureusement, je ne peux
Pas la dire, et c'est regrettable
Ça nous aurait fait rire un peu
Car le juge, au moment suprême
Criait "Maman !", pleurait beaucoup
Comme l'homme auquel, le jour même
Il avait fait trancher le cou
Gare au gorille, gare
Gare au gorille, gare
Gare au gorille, gare