LE COMPLEXE DE LA TRUITE
Elle était jeune fille,
Sortait tout droit de son couvent,
Innocente et gentille,
Qui n'avait pas seize ans.
Le jeudi, jour de visite,
Ell' venait chez ma mère,
Et ell' nous chantait la Truite,
La Truite de Schubert.
Un soir de grand orage,
Ell' dût coucher à la maison ;
Or, malgré son jeune âge,
Ell' avait d' l'obstination.
Et, pendant trois heures de suite,
Au milieu des éclairs,
Ell' nous a joué la Truite,
La Truite de Schubert.
On lui donna ma chambre.
Moi, je couchai dans le salon.
Mais je crus bien comprendre
Que ça ne serait pas long.
En effet, ell' revint bien vite,
Pieds nus dans les courants d'air,
Pour me jouer la Truite,
La Truite de Schubert.
Ce fut un beau solfège,
Pizzicati coquins,
Accords, trémolos et arpèges,
Fantaisie à quatre mains.
Mais à l'instant où tout s'agite
Sous l'ardent aiguillon de la chair
Elle, elle fredonnait la Truite,
La Truite de Schubert
Elle, elle fredonnait la Truite,
La Truite de Schubert.
Je lui dis : " Gabrielle,
Enfin, comprenez mon émoi,
Il faut être fidèle :
Ce sera Schubert ou moi ! "
C'est alors que je compris bien vite,
En lisant dans ses yeux pervers,
Qu'elle me réclamait la suite,
La suite du concert.
Six mois après l'orage,
Nous fûm's dans un' situation
Tell ' que le mariage
Etait la seul' solution...
Mais avec un air insolite,
Au lieu de dire " oui " au Maire,
Ell' lui a chanté la Truite,
La Truite de Schubert.
C'est fou ce que nous fîmes,
Contre cette obsession,
On mit Gabrielle au régime,
En lui supprimant le poisson.
Mais, par une journée maudite,
Dans le vent, l'orage et les éclairs,
Ell' mit au monde une Truite,
Qu'ell' baptisa " Schubert "
Ell' mit au monde une Truite,
Qu'ell' baptisa " Schubert "
(parlé)
A présent je vis seul, tout seul dans ma demeure,
Gabrielle est partie et n'a plus sa raison:
Dans sa chambre au Touquet elle reste des heures
Devant un grand bocal ou frétille un poisson.
(chanté)
Et moi, j'ai dit à Marguerite,
Qui est ma vieille cuisinière:
"Ne me servez plus jamais de Truite
Ca me donne de l'urticaire".